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La première question à laquelle doit répondre l’expert fixant l’indemnité d’éviction est celle de savoir si le fonds de commerce est appelé à disparaître ou s’il est transférable.
Les parties n’ayant pas tout le temps la faculté de fixer le montant, elles sollicitent la désignation d’un expert spécialisé dans le secteur considéré afin qu’il chiffre le montant de l’indemnité, en tenant compte des activités autorisées par le bail et de la situation des locaux dans les deux hypothèses de perte ou de transfert du fonds.
En réalité, la transférabilité porte sur la dépendance de l’activité au site et aux locaux loués. La question de la nature de la clientèle du fonds considéré se pose. S’il s’agit d’un commerce de détail inextricablement lié à la clientèle de proximité, la dépendance à l’achalandage conduira à une indemnité de perte.
A contrario, une activité indépendante de la situation géographique et des lieux loués sera considérée comme étant transférable. C’est le cas des fonds disposant d’une à une clientèle géographiquement dispersée ou de ceux exploités au sein de locaux sans visibilité sur rue (par exemple au premier étage, en fond de cour). Ce peut être également le cas des commerces à très forte notoriété.
Ainsi lorsqu’il existe une incertitude sur la transférabilité du fonds de commerce dans un autre lieu, l’estimation de l’indemnité d’éviction doit être fondée sur l’hypothèse de la perte du fonds de commerce dans sa totalité.
En revanche, s’il est démontré (par les parties ou par l’expert) que le lieu d’exploitation du fonds importe peu à ce dernier et que le preneur maintiendra sa clientèle en dépit d’un déménagement des lieux loués, l’indemnité versée ne sera qu’une indemnité de « déplacement » ou de « transfert ».
C’est notamment le cas lorsque la clientèle provient de la renommée ou de la notoriété du locataire. Celle-ci, dite captive, est une clientèle qui suivra le locataire s’il déménage. Cela s’observe dans le commerce de gros également, lequel touche une clientèle professionnelle et dispersée.
Certains arrêts ont retenu cela pour le cas d’un créateur réputé de dessins et modèles, d’un garagiste ne disposant pas d’un commerce sur rue et dont la personnalité était un élément prépondérant de l’attraction de la clientèle, d’un rempailleur de chaises, d’un agent commercial, d’un lithographe disposant de locaux sur cours et sans accès direct sur la rue, d’un photographe professionnel, d’un grossiste, d’une école de formation et d’organisation de congrès, etc.
Bien entendu si la notoriété d’un commerçant est prise en compte, elle doit être suffisante pour qu’il conserve sa clientèle où qu’il aille ; si ce n’est pas le cas, le fonds ne sera pas réputé transférable.
Certains commerces disposent à la fois d’un système de vente en boutique et sur Internet. Se pose alors la question de la préservation éventuelle de la part de l’activité Internet. Dans pareil cas, les données chiffrées de chaque branche doivent être analysées. La vente sur Internet, en effet, peut avoir un impact sur la vente en boutique, mais la jouissance de celle-ci peut être une condition de l’exercice de la vente à distance (tel est le cas lorsque le retrait se fait sur place, notamment).
En revanche, si le fonds de commerce n’est pas transférable, si la valeur du droit au bail est supérieure à celle du fonds de commerce, le preneur bénéficie alors d’une indemnité de transfert qui correspondra à la valeur du droit au bail. Les cours et tribunaux décident unanimement que le locataire perdant son fonds de commerce, ne peut bénéficier d’une indemnité inférieure à la valeur du droit au bail des locaux dont le locataire est évincé puisque la valeur du fonds de commerce comprend la valeur du droit au bail.
La détermination du périmètre d’appréciation du préjudice du preneur implique de savoir quel fonds doit être pris en compte et à quelle date évaluer l’indemnité d’éviction.
Le fonds que l’expert prendra en compte est celui du preneur, c’est-à-dire les activités autorisées par le bail et celles qui, en vertu des usages et de l’évolution du commerce, sont considérées comme étant implicitement contenues dans la clause destination du bail.
Il importe donc, avant tout chiffrage, de déterminer les activités poursuivies dans les lieux loués et de vérifier qu’elles entrent dans la destination stipulée au bail. L’indemnité d’éviction doit réparer le préjudice subi du fait du refus de renouvellement du bailleur, lequel se concrétise à la date d’effet dudit refus. À cette date, le locataire n’est plus tenu de se maintenir dans les lieux. C’est donc à cette date que la consistance du fonds doit être appréciée.
De même, l’évaluation de l’indemnité doit être faite au jour où le préjudice est réalisé, c’est-à-dire à la date la plus proche du jour auquel devient effective l’éviction, soit à la date de l’éviction elle-même, soit du moins à la date où le locataire cesse d’occuper régulièrement les lieux.
Etant précisé que si la valeur des éléments du fonds a subi une évolution majeure avant que le juge statue sur son montant, celui-ci doit alors tenir compte des résultats de l’exploitation postérieurs au rapport de l’expert qu’il aura désigné, sans pouvoir réévaluer l’indemnité telle que proposée par l’expert en appliquant un pourcentage ou un correctif.
Il n’existe pas de définition légale des principes d’évaluation. La valeur marchande du fonds de commerce est celle que pourrait obtenir le preneur en cas de cession de son fonds à un cessionnaire avec les incorporels et corporels.
L’estimation du fonds de commerce est bien souvent effectuée en rapprochant plusieurs méthodes, appuyées sur les éléments chiffrés de l’exploitation et l’examen de son environnement. L’appel à un expert amiable ou judiciaire spécialisé dans le secteur considéré permettant une fixation plus fidèle au vu de l’activité spécifique du preneur.
La pratique des experts a connu dans ce domaine une évolution rapide en peu de temps. Ainsi, les usages ont évolué du taux sur recettes à la capitalisation de la marge brute d’autofinancement puis à celle de l’excédent brut d’exploitation avant d’envisager aujourd’hui d’introduire la méthode par actualisation des cash-flows.
Cependant la lettre de la loi impose l’estimation de la valeur marchande du fonds selon les usages de la profession. Aussi, quelle que soit la méthode employée, généralement l’estimation est fondée sur les éléments par le chiffre d’affaires, par le taux sur recettes, par le résultat, par la capitalisation boursière, etc.
La loi fait état des indemnités accessoires sans les lister. L’article L. 145-14 du Code de commerce ne visant que le remboursement éventuel des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur.
Pour autant, il a déjà été jugé que cette liste n’est pas exhaustive dans la mesure où l’indemnité d’éviction doit réparer l’entier préjudice de la perte du droit au bail.
Une rapide analyse des décisions judiciaires permet de constater que les indemnités accessoires sont bien souvent les frais de remploi, les frais de déménagement, le trouble commercial, les frais administratifs, l’indemnité de double loyer, la perte de travaux et d’agencements spécifiques et irrécupérables, les indemnités de licenciement et les frais de réinstallation.
Il appartiendra au locataire évincé de démontrer la réalité de ces postes et de les chiffrer.
En revanche, c’est au bailleur qu’il appartiendra de démontrer l’absence de réinstallation du locataire pour être libéré du paiement des frais de recherche d’un nouveau droit au bail, des frais de réinstallation et de mutation à exposer pour l’acquisition d’un nouveau fonds de commerce.
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